Quierzy, le 19 avril 1919

  Ma bien chère Maman,

  Me voici enfin arrivé dans notre village qui a bien souffert. Tout le pays n'est plus que ruines depuis la forêt de Laigue jusqu'ici. Tracy, Carlepont, Cuts,Brétigny sont détruits presque complètement, les arbres, les champs, tout est boulversé. On ne rencontre guère plus de vie. La route passe au milieu de tranchées avec leurs fils de fer. Ne reconnaissant plus les chemins, j'ai du plusieurs fois m'arrêter sans m'aventurer trop ... la guerre est passée partout.

  Beaucoup de maisons ont subit les bombes et celles qui restent debout, comme la nôtre, n'ont plus leur toiture complète. C 'est une triste désolation de tous côtés. Deux des trois murs du jardin sont presque éboulés en totalité. Les petis bâtiments n'ont plus leur toit mais on y a déjà mis des toles venant des abris laissés par l'Armée. La fenêtre de l'étage donnant sur le jardin a été démolie dans son haut par une bombe qui est entrée dans la maison et a traversé le plancher jusque dans l'entrée sans éclater. Voilà notre chance.

  Les meubles et même les portes ont été emmenés. Une loi a été faite cette semaine pour les dommages de guerre. Nous verrons bien. Pour l'instant la maison est occupée par des pauvres gens qui n'ont plus rien. Leur fils, un garçon bien courageux, a été blessé non loin d'ici sur la Marne en juin. Il va rentrer bientôt des Armées et ils retourneront chez eux.

  Avant eux, les allemands ont occupé la maison dès 1914. Un officier avec son ordonnance d'abord quand le front était vers Tracy et Nampcel, puis un jeune professeur qui a fait des fouilles archéologiques au prieuré et à la capellette. Le chantier était juste derrière la maison. Ils n'ont pas terminé à cause des inondations et c'est peut-être pour ça que tout n'a pas été détruit à Quierzy quand ils sont partis.

  En mars 1917, notre Armée s'est installée ici, des Spahis et des Territoriaux au début. A l'entrée du village, la maison faisait le poste de garde puis de commandement pour toutes les troupes qui étaient dans Quierzy et dans les bois autour quand les allemands ont reculé sur l'Ailette. En juin, la maison a été aussi laissée à des personnes du village qui n'avaient plus de toit. Ils avaient bien souffert avec les allemands et ils ont cultivé le jardin ici pendant que nos soldats se battaient vers la forêt de Saint-Gobain et revenaient ici au repos. A la fin, c'était des anglais qui restaient dans le secteur. Ils avaient leur Etat-Major au château. Les américaines de Blérancourt ont bien aidé tout le monde à cette époque.

  En mars suivant, les allemands sont revenu d'abord de l'autre côté de l'Oise. Cette fois l'Armée a emmené tout le monde. Quierzy occupé par les nôtres était bombardé depuis Dampcourt. C 'est à ce moment que la maison a été abîmée. Elle servait à nouveau de poste de commandement aux troupes qui surveillaient l'Oise avec des tranchées creusées un peu partout. En avril, les allemands sont revenu jusqu'à l'Ailette. Ils ont été arrêtés là jusqu'à la fin mai et ils ont encore tout bombardé dans le pays. En juin, ils sont arrivés à nouveau jusqu'à Tracy et venaient encore au repos ici.

  Les nôtres ont définitivement repris Quierzy en août. Mais le village est resté en première ligne une nouvelle fois et a encore été abîmé. L'Oise et l'Ailette étaient toujours aux allemands et la maison occupée par les nôtres. L'Ailette a été enfin reprise à la fin d'août, puis l'Oise au début de septembre mais la troupe est encore restée nombreuse ici jusque vers la fin.

  Depuis, l'Armée avec des prisonniers allemands et des ouvriers de l'administration commencent à ramasser les obus et la ferraille laissés partout. Ils comblent les tranchées et toutes autres sortes d'horreurs. C 'est un travail qui va durer. Pour cette année bien peu de terres pourront donner alors l'adminstration va continuer à nous verser pour les parcelles qu'il est dangereux de cultiver.

  Voilà toutes les nouvelles de notre pays où peu sont revenus pour l'heure. Nous restons pour Pâques remettre un peu d'ordre avec la certitude que tout va vite renaitre ici. C 'est Pâques demain.

  Votre fils Louis