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Georg Weise vers 1950

Georg Weise et le Kunstschutz à Quierzy
A la recherche du palais de Charlemagne

Georg Weise (1888-1978),
jeune historien de l'art de l'Université de Tübingen (Bade-Würtemberg) diplômé en 1914, est envoyé en France à l’automne 1914 inventorier les monuments artistiques du secteur de la 7e armée, entre Soissons, Noyon, Saint-Quentin et la frontière belge. Cet inventaire photographique est financé par la Société scientifique (Wissenschaftliche Gesellschaft) de Strasbourg et la Société royale de soutien aux sciences du Wurtemberg (Königlich Württembergische Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaftien).

Dans le même temps, à l’automne 1914, un service dont l’objectif est de « préserver l’art de l’ennemi », le Kunstschutz, est instauré au sein des armées allemandes, accusées de barbarie culturelle lors de l’invasion de 1914 (incendie de la bibliothèque de Louvain, bombardement de la cathédrale de Reims, …). Dans le cadre du Kunstschutz, les historiens d’art allemands et leurs différents projets de recherche en France occupée serviront la propagande culturelle, mais aussi les buts de guerre allemands lorsque les chefs-d’œuvre des collections du nord de la France sont sélectionnés pour servir de gages lors des négociations de paix. Ils permettrons également la mise à l'abri des
œuvres d’art évacués à partir de 1917 vers des villes plus sûres situées en France.

L’activité ambigüe du Kunstschutz, qui se déploie en 1916 dans le nord de la France
occupée, a été étudiée par Christina Kott en 2006 dans son livre Préserver l’art de l’ennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupées, 1914-1918, largement utilisé ici.
   
L’inventaire de Weise

Mené entre octobre 1914 et décembre 1915, cet inventaire, qui aurait été déposé à la Bibliothèque de Strasbourg, est l'occasion de 2 000 prises de vues, « le plus souvent des églises, intéressantes du point de vue de l'histoire de l'art, dont il s'agissait de garder des traces avant leur destruction quasiment programmée comme celles des alentours du Chemin des Dames. L'inventorisation de ce patrimoine était menée comme en Belgique dans un but scientifique et destinée à compléter les ouvrages français, jugés incomplets et manquant de rigueur scientifique. Mais par rapport à la Belgique, la fonction conservatrice des prises de vue, par la fixation de l'état du bâtiment prend ici un rôle plus important. Car la perspective d'une destruction ou d'une dégradation, plus que probable dans ce secteur particulièrement exposé, modifia le caractère du document photographique : d'une simple reproduction de la réalité, elle prit le rôle d'unique témoin d'un état antérieur appartenant, dans un avenir proche, au passé. La guerre apparaît ici comme accélérateur d'un processus de dégradation, qui, sans elle, se serait étalé sur plusieurs décennies voire plusieurs siècles. » Dit autrement, la France ne s'intéresse pas à son patrimoine.

Le journal Norddeutsche Allgemeine Zeitung du 20 janvier 1917 publie un article intitulé « Inventaire des monuments de l'Aisne par un officier allemand » / « Denkmälerinventarisation des Aisnedepartements durch einen deutschen Offizier », qui est probalement celui de Weise.

L'inventaire de Weise est régulièrement mentionné par les historiens de l'art allemands. 
L'ouvrage de Demmler de 1919 (voir ci-dessous) cite un rapport manuscrit de 8 pages de Weise énumérant les oeuvres les plus précieuses du secteur, parmi les documents de Demmler concernant la 7e armée (SMB-PK/ZA. NL Demmler, n° 2), Clemen mentionne également Weise en 1919, « Baudenkmäler auf dem französischen Kriegsschauplatz », pp. 36-74, ici p. 70, Dresslers en 1930, Metzler en 1999, pp. 461-464.
 
Demmler et Clemen

Dans le cadre du Kunstschutz, en octobre 1916, Theodor Demmler (1879-1944), historien d’art et directeur-adjoint des musées royaux de Berlin est chargé d’une mission de mise en sûreté des collections françaises, dont l'objectif était de recenser les collections des musées de Lille, Saint-Quentin, Douai, Cambrai, Valenciennes, d'estimer la valeur artistique et historique des œuvres recensées et de choisir celles susceptibles d’être transportées en Allemagne en vue d’une utilisation comme gages lors des négociations de paix (Circulaire du QG adressée aux armées datée du 18 octobre 1916, SMB-PK/ZA, papiers de Th. Demmler)

Dans la perspective du repli allemand sur la ligne Hindenburg au printemps 1917, les autorités allemandes décident l’évacuation des collections publiques et privées de Lille, Saint-Quentin, Cambrai, Douai, Laon, etc., vers ce qu’ils appelaient des « dépôts d’œuvres d’art », à Maubeuge, Valenciennes, et dans trois autres villes, situées à l’abri des hostilités, mais sur le territoire français (Richtlinien für die Behandlung der Kunstschatze in den gefährdeten französischen Ortschaften). Pour accomplir cette tâche, Demmler obtint le rattachement de plusieurs collègues historiens d’art. Ces oeuvres seront exposées à Valenciennes puis transférées à Bruxelles et restituées après la guerre.


En 1919, un ouvrage collectif intitulé « Kunstschutz im Kriege », sera édité par le professeur Paul Clemen (1866-1947), éminent historien d’art et inspecteur des monuments de la Rhénanie, à l’occasion des conférences de la paix, et considéré comme un ouvrage de propagande destiné à justifier devant l’opinion internationale les mesures allemandes de sauvegarde du patrimoine historique et artistique pendant la guerre.

Histoire de l'art et propagande pendant la Première Guerre mondiale. L’exemple des historiens d’art allemands en France et en Belgique Christina Kott p. 201-221 https://doi.org/10.4000/rgi.783

Les fouilles du château de Charlemagne

Weise entreprend en 1916 à Quierzy des fouilles archéologiques de ce qu’il pense être le « palais des rois mérovingiens et carolingiens ». Les premiers résultats de ces fouilles sont publiés dès 1916 : « Quierzy an der Oise, die Pfalz der merowingischen und karolingischen Könige », Goerg Weise, Brussel, 1916, le résultat complet sera publiée en 1923. Weise milite en effet pour le développement des interactions entre l’histoire de l’art et à l’histoire politique, mais aussi à l’histoire des empires franc et allemand. Sa thèse soutenue en 1911 portait sur la royauté et l'élection des évêques dans les empires francs et allemands, « Königtum und Bischofswahl im frankischen und deutschen Reich vor den Investiturstreit » (ce qui vaudra à Weise quelques ennuis avec le pouvoir nazi, qui cherchera à gommer cette histoire commune).

L'étude des vestiges des civilisations mérovingienne et carolingienne et notamment des châteaux royaux des francs est également la mission de l'Association allemande pour la science de l'art, « Deutscher Verein für  Kunstwissenschaft », que cite Weise dans son rapport de 1923 « Zwei fränkische Königspfalzen. Bericht über die an den Pfalzen zu Quierzy und Samoussy vorgenommenen Grabungen », tout en relevant qu'aucun des châteaux situés sur le sol allemand (Aix-la-Chapelle et Ingelheim) ne sont antérieur à l'époque carolingienne.

Weise indique également en première page de ce rapport, que le nord-est de la France lui semble être le centre du royaume mérovingien, où les éléments de la culture germanique se sont mélangés aux vestiges de la civilisation antique. Weise s'intéresse ainsi aux sites de Quierzy et Samoussy. Selon Weise, le palatium de Quierzy était connu par l'historiographie française en tant que lieu de naissance de Charlemagne, mais aucune véritable recherche, aucune fouille n'avait été menée jusqu'alors afin d'en apporter des preuves non seulement écrites, mais aussi archéologiques.

Nous retrouvons ici le thème du manque d'intérêt pour leur histoire que les Allemands reprochent aux Français. Weise explique que cette lacune serait due à l’image de la culture mérovingienne en France marquée par « le livre stupide » / « das törichte Buch » (p.4 du rapport de 1923) de Martin-Marville, Essai sur les châteaux royaux, villas royales ou palais du fisc des rois mérovingiens et carolingiens (Amiens 1873), qui présente les mérovingiens comme un peuple de barbares, vivant dans les marécages dans des maisons en bois, d'où l'inutilité de fouilles.


Plan de la villa mérovingienne du prieuré



 Plan général des fouilles de 1916 de la Capelette
 
Le Prieuré puis la Capelette

Weise s'intéresse d'abord, en mai 1916, au site du Prieuré puis après la moisson, début août, au site de La Capelette ou ses travaux sont interrompues par les innondations à la fin de l'automne et cessent définitivement en février 1917 ...


Sur le site du Prieuré, près de l'église, fouillé rapidement, Weise trouve des morceaux de poterie et de céramique et découvre les restes d'une villa de l'époque romaine tardive ou mérovingienne. Ces morceaux de poterie et de céramique sont expédiés en Allemagne afin d'y être examinée. L’autorité militaire interdira en 1918 l’envoi en Allemagne d'objets en provenance de fouilles.


Mais c'est sur le site de « La Capelette » que Weise pense découvrir en août 1916 les traces d'un château royal, dont le type appartiendrait à une période précoce de la construction des palatiums.

Sur cette colline plate, où des fouilles françaises ont déjà permis d'identifier les "fondations d'une ancienne église construite sur les ruines d'un ancien château mérovingien" comme l'indique le Bulletin Archéologique de Soissons, 1868, Weise trouve à son tour le sol jonché de gravats puis des fondation de 3,50 mètres de large et 1,20 mètre de haut à 1,60 mètre sous la surface du sol, déjà fouillé dans le passé, comme il le relève lui-même.

Weise détermine le contour d'un important site qu'il interprète comme étant les vestiges du palais royal carolingien occupant une zone ovale s'étendant d'ouest en est et mesurant 120 mètres sur 80, entourée d'un anneau mural, avec une seule ouverture au sud-ouest.

Weise identifie à l'intérieur de l'ovale :
 
- à l'est un bâtiment rectangulaire, fortement structuré de 30 mètres sur 40 et avec une sorte de patio, considéré comme un bâtiment d'habitation,
- au nord un bâtiment dans lequel Weise voit une salle royale de 50 mètres de long, également ovale sur trois côtés et face à l'Oise une façade droite d'environ 40 mètres de long connectée au côté nord de la maison,
- au sud une cour intérieure avec dépendances suivant le portail de six mètres de large, flanqué de deux tours.
 
Aucune pièces à caractère sacré n'est trouvée, laissant supposer l'existence de bâtiments religieux à proximité. 


Pour Weise, le château royal de Quierzy n'est pas sans rappeler ceux d'Aix-la-Chapelle et d'Ingelheim, tandis que celui de Samoussy fouillé à partir du printemps 1917, également inexploité par les Français, relèverait d'une période plus récente.

Les mouvements du front entraînés par le repli des forces allemandes sur la ligne Hindenburg en mars 1917 empêchent la poursuite des recherches à Quierzy. Samoussy, situé au nord-est de Laon n'est pas repris par les Français. Weise peut néanmoins présenter les avantages pour la science historique allemande de la poursuite des recherches qu'il a entamées, avec pour objectif de déterminer l'imbrication des cultures romaine et franque dont le mélange aurait été à l'origine de la culture du Moyen Âge. Quelles étaient les limites géographiques et culturelles entre culture latine et culture germanique, quel fut l'apport de chacune à une culture locale faite de métissage ?

A l'été 1917, Weise est nommé conseiller du patrimoine artistique de la 7e armée. Il ne retourne semble-t-il pas à Quierzy transformé en champ de bataille au printemps 1918.

Après guerre

Weise se consacrera à partir de 1920 à la documentation de l'architecture et de la sculpture médiévales en Allemagne, en France, en Espagne et en Suisse, qu'il capture dans environ 7 000 photographies. Le travail en Espagne en particulier est d'une valeur inestimable aujourd'hui, car de nombreuses œuvres d'art qu'il a photographié ont été détruites quelques années plus tard pendant la guerre civile espagnole.

Ces photographies sont conservée par le Centre de documentation allemand sur l'histoire de l'art de l'Université de Marburg,
dans les archives Georg Weise de l'Institut d'histoire de l'art de l' Université Eberhard Karls de Tübingen qui fait aujourd'hui partie de la collection du Musée de l'Université de Tübingen MUT.
 
Des visions opposées

Sur la valeur de l’œuvre d'art, côté français, « la revendication du sacrifice de vies humaines pour la préservation du patrimoine artistique national, et côté allemand, la revendication de sacrifier les œuvres d’art pour épargner des vies humaines, en l’occurrence des soldats allemands » (p. 50).

« Alors qu’en Allemagne persiste l’image de l’officier d’art (Kunstoffizier) ou expert artistique (Kunstsachverständig er) [...] c’est aujourd’hui encore l’image du militaire allemand, voleur et pilleur qui prédomine en France et en Belgique » (pp. 17-18). L’image ancrée dans la mémoire collective de 14-18 a en outre tendance à se confondre avec celle des autres conflits franco-allemands : le voleur de pendules de 1870-1871, le pilleur de 14-18 et le nazi, avide « amateur » d’œuvres d’art de 1940-1944 ont fini par former une seule image.

Entre véritable argument scientifique, outil de propagande et nécessité, comme la réquisition des métaux, Christina Kott souligne opportunément la « double vie des experts artistiques » (p. 324), notamment en France, partagés entre « le devoir moral de préserver [les œuvres] de la destruction » et leurs « sentiments patriotiques » qui les conduisaient à « la récupération de bien culturels allemands » spolié par la France au cours de conflits antérieurs (pp. 324-325). Dans ce contexte, il est souvent difficile de savoir si l’action est ou non mue par de nobles sentiments.
  
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Préserver l'art de l'ennemi ? Le patrimoine artistique en Belgique et en France occupées, 1914-1918, Christina Kott, Éd. P.I.E Peter Lang, 2006


Présentation de l'éditeur

Commises lors de l'invasion allemande en 1914, les « atrocités culturelles » telles que l'incendie de la bibliothèque de Louvain et le bombardement de la cathédrale de Reims ont soulevé de vives protestations dans le monde entier. Les autorités allemandes, accusées de « barbarie », y ont répondu en instaurant à l'automne 1914 le Kunstschutz, un service de protection des oeuvres d'art au sein des armées, d'abord en Belgique occupée, puis en 1916 dans le nord de la France. Français et Belges ont toujours émis des doutes quant à l'intention réelle de ce service, dont l'objectif affiché était de « préserver l'art de l'ennemi ». En revanche, en Allemagne, on l'a présenté jusqu'à peu sous un jour unanimement favorable. Mais quels étaient ses véritables objectifs: protection, propagande ou spoliation ? Qui étaient ses instigateurs et ses acteurs, et quelles étaient leurs motivations ? Ses multiples activités ont-elles produit des effets ? À partir de sources allemandes, françaises et belges pour la plupart inédites, l'ouvrage tente de répondre à ces questions en déconstruisant les mémoires nationales dans une perspective comparative et selon une structure à la fois chronologique et thématique. Une histoire croisée qui fait dialoguer le regard de l'occupant avec celui de l'occupé, afin de mettre en évidence la complexité et les ambivalences de ces réalités.

Christina Kott, née en Allemagne, a étudié les langues et civilisations romanes et germaniques à Düsseldorf et à Paris, où elle a obtenu en 2002 son doctorat (Histoire et civilisations) à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ses travaux portent sur les interactions entre politique, patrimoine, art et histoire de l'art au 20e siècle en Europe. Depuis 2005, elle est maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas Paris 2 et chercheure associée à l'IHTP (Paris).

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